You are currently viewing L’URSS de Staline est de retour avec son lot de peur, de privation et de morts. V. Poutine a perdu son pari !

Sergueï me disait lors de notre précédent échange, une dizaine de jours avant l’invasion de l’Ukraine, qu’il ne croyait pas une seule seconde que la Russie puisse envahir un pays aussi proche culturellement et historiquement de la Russie : « Comment pourrions-nous tirer sur nos frères de sang ? La Russie est née à Kiev ».

Alors qu’une invasion massive est en cours, que Poutine menace d’utiliser l’arme nucléaire et que manifestement les troupes russes n’avancent pas aussi vite qu’elles le voudraient en territoire ukrainien, il fallait que je lui reparle. Je voulais confronter nos informations et nos analyses, comprendre comment la population moscovite répondait à cette décision solitaire du nouveau tsar. Partager aussi nos émotions, nos révoltes faces à cette guerre qui tue chaque jour des centaines de soldats et de civils ukrainiens, russes et biélorusses.

Je l’ai donc appelé hier soir et j’ai vite compris que la dictature soviétique de l’URSS venait de renaître sous une autre forme.
Lorsque je vivais et travaillais à Moscou, il n’était pas rare qu’un collègue ou un ami russe me raconte le temps de l’URSS. En particulier sous Staline, tout le monde espionnait tout le monde et la critique du régime n’était possible que dans le cercle familial très restreint. On demandait aux enfants d’aller jouer dehors, on se regroupait à trois ou quatre dans la cuisine, on faisait couler l’eau au robinet pour couvrir les voix, puis on pouvait chuchoter et parler de l’URSS, du Parti Communiste et de ses dirigeants. La population se savait espionnée par les membres du Parti Communiste et par un réseau invisible d’informateurs de la police.

Dès le début de notre échange, j’ai vite compris que Sergueï allait être intarissable sur la rigueur de l’hiver, l’arrivée précoce du printemps ou encore les changements intervenus à Moscou depuis que j’avais quitté la Russie. Nous étions revenus au temps de Staline. Surtout pas une critique de Poutine par téléphone. Trop dangereux. La peur est là. Présente à chaque instant. Moscou aujourd’hui, c’est ça ! Et j’ai lu depuis que les réseaux sociaux, Facebook et Twitter n’étaient plus accessibles.

Pourtant un mouvement de fond est en train de monter en Russie : Les manifestations violemment réprimées dans les grandes villes, plusieurs oligarques qui se sont publiquement exprimés contre la guerre, le conseil d’administration de Loukoil (un important groupe pétrochimique russe) qui a approuvé à l’unanimité une prise de position publique contre la guerre, des soldats qui ne semblent pas mettre beaucoup d’énergie pour arriver à Kiev.

Depuis mon séjour à l’Est, je suis resté membre d’un groupe de partage d’informations et de réflexions qui rassemble des chefs d’entreprises étrangers et des universitaires spécialistes de la Russie et de l’ex-URSS. Nous avions l’habitude de nous réunir une matinée par trimestre. En réalité, je n’y participe plus depuis quelques années. Mais je n’ai pas hésité lorsque j’ai reçu une invitation Zoom pour un échange ce mardi. Je ne vais pas revenir sur les analyses macroéconomiques que nous avons partagées pendant cette visio conférence. Nous les lisons quotidiennement dans les médias.

Plus intéressant, les témoignages de la vraie vie en Russie en temps de guerre.

Un citoyen américain, à la tête de la filiale russe d’un groupe occidental, nous explique que sa direction lui a demandé de quitter le pays depuis déjà quelques jours. Il s’est replié à Vienne. Il nous décrit sa société. Pour servir le marché russe, elle a acquis, en 2017, une unité de production située à deux heures de Moscou. L’usine pourra produire encore pendant deux semaines. Passé ce délai, certains composants importés de l’Ouest seront épuisés. Il est désormais impossible d’acheminer des biens en Russie, car on ne trouve plus d’entreprise de transports qui veuille s’aventurer dans ce pays. L’entreprise continue à vendre, mais demande désormais à ses clients de payer avant la livraison, en Euros ou en Dollars, et via une banque qui ne fait pas l’objet de sanctions.
Dans quatre semaines, il n’y aura plus de travail pour le millier de salariés de cette entreprise et les produits ne seront plus disponibles pour les consommateurs russes. Les décisions de l’Europe et des Nations-Unies paraissent parfois un peu théoriques et éloignées de la vie quotidienne. Cette situation réelle illustre le concret de la guerre à Moscou. Plus de salaire et des linéaires vides dans les magasins.

La rumeur circule que l’état russe pourrait nationaliser toutes les entreprises étrangères qui opèrent sur son sol. Difficile de penser qu’une telle décision remettrait l’économie en marche !

Tous les chefs d’entreprises, qui participaient à cette réunion et qui pour la plupart gèrent des affaires en Russie, s’accordent à espérer un cessez-le-feu rapide, mais se préparent au pire.

L’Europe est en train de gagner 20 ans dans sa construction. La diplomatie et la défense européennes peinaient à se mettre en place, or en moins d’une semaine l’Europe unanime a défini une position commune face à la Russie et mobilisé des moyens pour permettre à l’Ukraine de se défendre.

Poutine a déjà perdu sur toute la ligne : L’Europe est unie et solidaire, l’Amérique qui regardait vers l’Asie s’implique à nouveau, le conflit pousse définitivement l’Ukraine dans les bras de l’Europe. Le peuple pourrait ne pas le suivre très longtemps.
Malheureusement, ce sont les enfants, les femmes et les hommes qui paient les conséquences des décisions d’un dictateur devenu fou.

Eric Faidy
Vendredi 4 mars 2022

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